Partons à la rencontre de cet illustrateur concept artist toulousain de 30 ans qui travaille pour des studios de jeux vidéo et d’animation. Un portfolio souvent inspiré des personnages japonais de ces domaines…
Quelle est votre formation ?
Concernant mes études post-bac, j’ai fait une formation en cinéma d’animation en trois ans dans une école toulousaine qui est désormais encadrée par l’ESMA. J’avais pas mal d’avance sur le côté infographie car au lycée je ne faisais jamais mes devoirs mais je travaillais sur un fanzine de BD et des petits jeux vidéo que je diffusais en freeware au début d’internet en 56K. J’avais, malgré tout, de grosses lacunes concernant le dessin académique que j’ai un peu rattrapé pendant mes études supérieures, mais je pense que ma dernière année
de spécialisation m’a été le plus utile sur mon profil actuel.
Quel matériel utilisez-vous ?
Je travaille sur PC via une tablette écran de la marque la plus connue, pour ne pas les citer.
Quels logiciels utilisez-vous le plus ?
Photoshop pour la 2D, Maya pour la 3D et Firefox pour mes nombreuses recherches de référence sur le web.
Avez-vous des sujets de prédilections ?
La poésie urbaine est clairement mon sujet préféré. Altérer et remettre en lumière des structures abîmées ou usées est un véritable plaisir, j’adore la partie du travail proche de celui d’un scénographe où je place mes éléments de la façon la plus vivante possible en croisant la végétation et le béton. Techniquement, j’oriente avant tout ma pratique vers les environnements, la lumière et le cadrage. Quel que soit le contexte d’un sujet, mon métier de concept artist doit le sublimer, le mettre en avant et évoquer son histoire. Poser un rayon lumineux sur un simple rocher dans une perspective originale suffit déjà à suggérer de nombreux éléments tel que l’ambiance, la chaleur ou le moment où se déroule l’ensemble de l’image.
Aimeriez-vous tenter d’autres types de sujets ?
Je suis régulièrement sollicité pour les sujets liés à la science-fiction et aux environnements urbains suite à mon portfolio qui a une orientation qui tire vers la culture pop. J’ai rarement eu l’occasion de travailler sur des sujets liés à la fantasy. La fantasy un sujet que j’estime très difficile car la thématique s’est cloisonnée dans des inspirations visuelles très occidentales souvent trop proches des mythes anglo-saxons. Je pense que je serais intéressé de m’y pencher à condition de puiser les inspirations dans des mythes plus exotiques que les grands classiques des mythes nordiques. Dans tous les cas, un contexte historique serait un challenge intéressant rien qu’à l’idée de devoir fouiller pour trouver de nouvelles influences visuelles.
Quels sont vos projets ?
Je travaille actuellement avec quatre de mes amis sur un projet de jeu vidéo indépendant initié par l’un d’eux. Actuellement à l’état de prototype, le projet nous sert avant tout de test pour jauger toutes les étapes de création de jeu vidéo de A à Z afin de pouvoir ensuite nous investir dans un travail d’équipe de plus grande envergure. Le travail à plusieurs est ce qui m’intéresse le plus et mes ambitions se tournent avant tout vers des possibilités d’équipe avant de se projeter plus loin artistiquement.
Travaillez-vous pour une société ou bien êtes-vous freelance ? Pourquoi ce choix ?
À la sortie de l’école, j’ai préféré rester à Toulouse car je n’étais pas vraiment motivé à l’idée de bosser au SMIC à Paris dans une industrie de l’image sous pression et pour vivre dans un appartement minuscule. J’ai eu une chouette opportunité dans une agence d’architecture à l’ambiance quelque peu électrique, ça m’a vraiment appris à avoir un comportement professionnel exigeant autant envers mon travail qu’avec mes employeurs. Le salariat permet de découvrir de nombreuses nuances dans les compromis d’un travail d’équipe. Deux ans plus tard, l’entreprise a fermé pour des raisons trop longues à expliquer. Je me suis alors lancé en indépendant car ça faisait un moment que je souhaitais reprendre le contrôle sur mes méthodes de travail tout en gardant du temps pour travailler sur mes projets personnels. J’ai immédiatement monté un atelier avec plusieurs autres graphistes indépendants afin de retrouver l’émulation d’une ambiance de travail ainsi que le contexte d’un bureau permettant de dissocier le temps professionnel du reste. Le statut de freelance correspond parfaitement à mon caractère, j’aime être en contact direct avec les clients tout en prenant la responsabilité de mes choix artistiques et techniques.
Qui sont vos principaux clients en ce moment ?
Cela fait maintenant trois ans que la plus grosse partie de mes clients est issue de l’industrie du jeu vidéo. Je travaille avec de nombreux studios aux tailles variées et aux méthodes différentes ; Ubi Soft, Sony Picture et Amplitude pour en citer quelques-uns. Je découvre de nombreuses méthodes de travail différentes qui laissent présager que le télétravail a un bel avenir dans les professions des arts appliqués. J’ai également des demandes pour des couvertures de romans ou magazines américains, mais dont la plupart sont inconnus en France.
Parlez-nous un peu du crowdfunding pour la collection Badass et de ce que ça a donné.
Ça faisait un moment que l’envie d’une relecture personnelle des icônes de la religion geek me travaillait. J’ai testé quelques personnages lors d’une de mes chroniques vidéo, puis je me suis pris au jeu et j’ai continué à en faire sans compter. C’est devenu viral et j’ai rapidement perdu tout contrôle sur leur diffusion sur le net. J’ai voulu en faire une petite compilation dans un beau livre au tirage limité via un financement participatif sur Ulule. Je ne suis pas un champion du marketing car c’est loin d’être une matière qui me passionne. Mais j’avais déjà une petite présence sur internet et de fidèles lecteurs ont répondu à la participation du projet. C’est beaucoup de travail, car en plus du temps passé à la réalisation, il faut se consacrer presque à temps plein pendant un ou deux mois à vendre le projet sans en faire trop. Dans tous les cas, ça reste une expérience gratifiante tant qu’on n’a pas les yeux plus gros que le ventre en s’imaginant des sommes astronomiques.
Quelles sont vos influences ?
Je suis très influencé par l’animation japonaise de Satoshi Kon et Katsuhiro Otomo. J’aime également reproduire dans mes dessins des ambiances colorées propres aux dessins animés des années 80 et des jeux bariolés de la Super Nintendo. Mais ces derniers temps je développe une sensibilité particulière pour la peinture romantique du XIXe siècle qui me fait redécouvrir des ambiances lumineuses subtiles très inspirantes.
Dessinez-vous aussi en traditionnel ?
Tout médium offre des perspectives différentes et c’est encore mieux quand on les mélange. J’essaye de toucher à tout type de techniques pour ne jamais me retrouver coincé dans un style ou dans un système de production qui m’obligerait à toujours reproduire le même travail. Mais concernant l’ensemble de mon travail, je fais quasiment tout en numérique. Je travaille sur une tablette écran dont j’aurais énormément de mal à me passer. Je ne suis pas vraiment un champion du dessin académique malgré quelques bases, ce qui fait que j’ai besoin d’un « droit à l’erreur » quand je dessine et le numérique est parfait pour y pallier. Mes esquisses sur papier sont souvent de gros gribouillis bourrés de traits de construction.
La partie concept art n’est qu’une corde à votre arc ? Quelles sont les autres ?
J’ai quelques bagages dans l’animation et la bande dessinée. Pour l’animation, j’ai de nombreuses notions suite à mes études et mes projets personnels liés au cinéma d’animation, mais c’est une pratique qui demande une patience inouïe contrairement au concept art qui permet de coucher de nombreuses esquisses rapidement. Quant à la bande dessinée, ça reste toujours l’un de mes domaines de prédilections mais j’attends que mes dernières tempêtes de travail se calment pour m’y remettre sereinement.
Comment se déroule une journée idéale de travail ?
Mes journées de travail sont assez longues et rythmée. Je rejoins mon atelier en début de matinée où je dédie la première heure à répondre aux nombreux messages qui s’entassent dans ma boîte mails. J’essaye de travailler un maximum sur mes différentes commandes dans l’heure qui suit. La durée du repas du midi dépend ensuite du nombre de briefs que je dois étudier et chiffrer sur ma pause de mi-journée. Je dédie mes après-midi à me concentrer sur mes illustrations en écoutant des podcasts afin de ne pas me déconcentrer. Les fins de journées dépendent souvent de la zone géographique de mes clients car j’ai régulièrement quelques échanges sur Skype avec des clients anglo-saxons aux fuseaux horaires décalés. Dans tous les cas, j’essaye de ne pas me priver de profiter de mes soirées en étant situé en centre-ville. Mes journées en semaine sont longues et chargées mais j’essaye de faire toujours en sorte de préserver mes week-ends pour retrouver l’inspiration et le repos nécessaire.
Que pensez-vous de l’influence de l’art japonais sur l’art en général dans le monde ? Sur vos créations ?
Le Japon a influencé de façon radicale la culture populaire depuis les années 1970. Malheureusement, j’ai la sensation que depuis cinq ou six ans la création culturelle japonaise s’enferme dans des concepts otakus de plus en plus verrouillés et excluant le reste du monde ou les non-initiés. C’est également visible du côté des jeux vidéo où la production s’est complètement repliée vers le mobile en délaissant les supports haute définition. Avant, les studios se servaient de leur richesse culturelle pour évoquer et lier des concepts universels, depuis quelque temps un sentiment de repli s’empare d’une grande partie de leur production.
Je suis un grand amoureux de la culture visuelle japonaise, leur sens de la poésie me fascine autant qu’elle m’inspire. De manière générale, on retrouve dans les mangas et les films d’animation japonais des messages très nuancés et éloignés des principes manichéens occidentaux. En plus de l’exotisme, il y a une philosophie que je trouve très séduisante dans la richesse de leurs univers. Leur façon de sublimer le quotidien ou le détail m’inspire énormément quand je réfléchis à la composition de mes illustrations. Néanmoins, l’excès de culture Geek de ces dernières années transforme doucement l’originalité en caricature, la madeleine de Proust en véritable culte, et la finesse s’estompe. Le Japon n’est évidemment pas le seul concerné quand on voit les overdoses de superhéros au cinéma, mais j’espère encore que la culture japonaise saura éviter de céder aux nombreux caprices d’un marché privilégiant les standards plutôt que les nouvelles idées.
Pour en savoir plus sur Sylvain «Tohad» Sarrailh