Récompensé du Cristal du court-métrage du Festival International du Film d’Animation d’Annecy 2016, Franck Dion, le réalisateur d’Une tête disparaît signe son quatrième court-métrage. Après avoir réalisé l’Inventaire fantôme, Monsieur COK et Edmond était un âne, tous, maintes fois primés, nous avons voulu en savoir plus sur le travail poétique et onirique de toute beauté de cet illustrateur, réalisateur et producteur français.
L’histoire
Jacqueline commence à perdre la tête et littéralement l’oublier ici et là. Cependant pour rien au monde elle ne raterait le train qui, comme chaque année, la conduit au bord de la mer. Seulement voilà, une immense femme la poursuit, l’appelant maman. Pourtant, si c’était sa fille, elle la reconnaitrait. Et peu importe l’endroit où Jacqueline essaie de se réfugier, impossible de la semer.
Comment travaillez-vous vos histoires et la psychologie de vos personnages ?
En tant qu’illustrateur, mes scenarii viennent toujours d’un personnage. Je fonctionne comme les enfants qui dessinent et se racontent l’histoire en même temps. Mon processus scénaristique repose sur la définition psychologique de mon personnage. Une fois que j’ai mon personnage, que j’ai défini sa psychologie, le jeu du scénario peut commencer. Je me mets à torturer le personnage, à le malmener, à le sortir de sa zone de confort jusqu’à un certain point afin de faire naître les articulations scénaristiques du film.
Quels outils et techniques utilisez-vous ?
Pour l’inventaire Fantôme, mon premier film, j’ai utilisé le stop motion. C’était un travail laborieux et un temps de réalisation très long. Trop long… Comme je n’étais pas animateur, je me suis beaucoup ennuyé. Pour Monsieur COK, j’ai utilisé la technique du papier découpé numérique dans After Effects, puis je suis passé à la 3D dans mes deux derniers films. C’était plus réactif et plus facile lorsqu’il fallait refaire les prises.
Pour Edmond était un âne, ma première expérience en 3D, j’ai dû faire face à des Rigs instables. Je me suis rendu compte que certains personnages ne fonctionnaient pas en animation lorsqu’ils étaient modélisés. Apprendre à contourner certaines contraintes techniques m’a permis d’affiner mon processus de travail. Avec une tête disparaît, j’ai donc travaillé le personnage de Jacqueline en amont avec Cinema 4D. C’est un outil formidable, mais très peu utilisé dans l’animation. J’ai fait mon animatique avec des personnages maquettes modélisés pour m’assurer d’aucune déconvenue lors de la phase d’animation.
Au-delà de quelques photos utilisées pour certains décors, c’est de la full 3D. J’ai tout modélisé, les paysages, et le train avec un décor démontable, comme c’est le cas dans le cinéma en prise de vues réelles. J’ai optimisé l’éclairage et le rendu car je souhaitais éliminer l’illumination globale en la simulant par ailleurs. J’ai voulu éviter les temps de calcul trop longs mais surtout, j’ai souhaité obtenir un éclairage au résultat satisfaisant, sans compter mon travail de compositing. Travailler la lumière est primordial à mes yeux. Au-delà des indications lumières dans mon animatique, j’ai sonorisé le film presque à l’extrême pour me donner le sens du rythme. C’est lors de la phase animatique spécifique de Jacqueline que j’en ai profité pour faire tous les gabarits des décors, des personnages et que j’ai placé les sources lumineuses pour savoir si tout fonctionnait.
Quel est le secret de vos textures ?
L’histoire de Jacqueline étant très dur, je souhaitais la dédramatiser à travers la mise en scène. A la différence de mes autres films, je souhaitais des lumières, des couleurs et des images très douces. J’ai réalisé les illustrations, les décors et les rendus du film. Il m’a également fallu un gros travail de texturing en amont. Au dépliage des UV, les images ont fait quelques allers et retours entre Photoshop et C4D afin de voir le résultat, puis j’ai passé le tout au compositing dans After Effects avec des couches faites maison (jusqu’à 5 à 6 couches sur une même image !), pour obtenir plus de profondeur, et se rapprocher du Lavis.
Cependant, je considère que je ne suis qu’à 50% de l’ambition graphique souhaitée : avec un effet « papier mâché » plus prononcé. Hélas, le budget ni les délais ne le permettaient. Certes, cela est frustrant pour le réalisateur que je suis, mais en tant que producteur, je me dois de respecter les délais.
Combien de personnes ont travaillé sur ce film, pendant combien de temps ?
Entre l’équipe chargée du développement de la modélisation et du rigging, les deux animateurs et un stagiaire, la partie son (élaborée à Montréal) et la musique (enregistrée à Paris), nous étions dix personnes. Je me suis occupé du rendu de la lumière et du compositing tout seul. La production du film a pris 10 mois.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes animateurs ?
Ne vous limitez pas à l’utilisation d’outils graphiques disponibles gratuitement. N’hésitez pas à utiliser les versions d’essai d’outils puissants pour vous faire la main, comme Photoshop, After Effects ou encore Premiere. Pour la 3D, Cinéma 4D est un logiciel accessible. Le rendu et la lumière du moteur de rendu propriétaire est excellente ! Enfin ZBrush est aussi très pratique. Avec ces outils, on peut arriver à faire du très bon travail !
Est-ce le film de la maturité ?
Ce film évoque le questionnement du vieillissement et paradoxalement, le désir de rester adulte, d’être libre. J’ai été marqué par le témoignage de ma grand-mère qui était atteinte d’une maladie dégénérative comme mon héroïne. Lors de périodes de lucidité, elle me racontait qu’elle avait rêvé pendant 6 mois. J’ai résolument fait un film du point de vue de la personne malade sans jamais être glauque. Je voulais montrer que celle-ci n’est pas tout le temps dans la souffrance. La souffrance étant le plus souvent ressentie par les proches. Jacqueline est une femme très énergique, avec beaucoup d’assurance et de drôlerie. Dans la première partie du film, son seul souci est cette « bécasse » qui la suit partout. Elle n’est pas angoissée du tout, elle est dans son cocoon, dans le compartiment du train. Tout va bien et elle se laisse aller à des souvenirs… Ce film est aussi un film sur les femmes. Déjà dans Edmond était un Ane, j’ai beaucoup travaillé sur le personnage de la femme d’Edmond et je suppose que j’étais mûr pour réaliser un film avec des femmes. Ce film aurait été complétement différent avec des personnages masculins !
Quels sont vos prochains projets ?
J’ai des projets d’applications interactives avec l’ONF (Office National du Film du Canada coproducteur d’Une tête disparait). Je travaille également sur un projet de long-métrage en coproduction avec Didier Brunner (ndlr : producteur de l’Inventaire Fantôme) et peut-être qu’Arte (également coproducteur d’Une tête disparaît), sera de la partie ! Le synopsis est déjà écrit et je dois à présent passer à l’étape supérieure, en tant que scénariste et coproducteur. Même si l’envie de refaire un court-métrage est très présente, je ne peux pas tout faire.
Un moment festif partagé avec le réalisateur Franck Dion pour célébrer sa victoire, lors de la fête de clôture du festival d’Annecy.
© DR
CREDITS IMAGES
© 2016 Papy3D Productions – Office national du film du Canada – ARTE France
Visionnez le film
http://cinema.arte.tv/fr/article/une-tete-disparait-de-franck-dion
Découvrez l’ensemble du travail de Franck Dion
http://franckdion.net
Par Alice Schwab
One thought on “Interview de Franck Dion, réalisateur d’Une tête disparaît”
Comments are closed.